Un seul à seul en scène

Ce sera le signe que l’Esprit Saint existe. Ou alors, la preuve que le monde demeure sans foi ni loi. L’avenir le dira. Mais le moment, lui, a été capté, et il restera. Deux hommes puissants courbés l’un vers l’autre derrière un pilier de la basilique Saint-Pierre, touchés par la grâce, dans la posture de recueillement que le lieu impose. Ils se confessent sans que l’on sache qui est le pénitent qui le confesseur, simplement l’un est connu pour avoir commis plus de péchés que l’autre.

Ce n’est pas un face-à-face qui supposerait de l’agressivité et de la répartie, des gestes amples, des doigts accusateurs, des haut-le-corps et des coups bas. Ils parlent, mais tous deux semblent écouter. Je dirais plutôt un seul à seul en scène qu’un photographe habile, et bien informé, a saisi comme pour témoigner qu’un entretien d’homme à homme est possible dans la maison de Dieu. On se penche, on tend l’oreille. Zelenski le quémandeur se fait humble solliciteur. Trump, encore massif, se recroqueville pour paraître moins monstrueux. Le grand se courbe, le petit se redresse, ils sont à égale hauteur, à égalité. Le temps s’est arrêté.

La photo nous fascine. Elle raconte une tout autre histoire que les cris et hurlements des dernières semaines, elle nous fait du bien. Elle produit son aura, comme aurait dit l’écrivain Walter Benjamin. On se rassure comme on peut.

Trump fait oublier la séquence du bureau ovale de la Maison Blanche où sa garde rapprochée lançait l’hallali. Trump sait faire preuve d’aménité. Zelenski était persiflé et accusé de n’avoir aucune carte en main, il prouve son habileté et son courage. Tous deux à confesse, ils espèrent l’absolution. Et la fin de la guerre.

Les prélats s’affairent autour d’eux, peu intéressés par le conciliabule. Ils ont bien plus important à préparer : un pape à inhumer. Ils ne voient pas les flammèches au-dessus des têtes. Le photographe non plus. Le feu est intérieur. À quelques pas d’eux, sur des chaises inconfortables d’église, un miracle est peut-être en train d’advenir. Le premier. Il en faudra d’autres, beaucoup d’autres, pour sanctifier, béatifier, canoniser celui que l’on enterre ce jour-là et que les deux hommes n’appréciaient guère.

Les deux solitaires, le gredin et le héros, eux, n’auront pas ce destin. La guerre canonise rarement.

Le temps d’un instantané, nous avons oublié la réalité. Celle des atermoiements et des trahisons, des crimes de guerre, de l’angoisse de civils pilonnés jouer et nuit. Volodymyr Zelensky est reparti sur le front. Donald Trump sur son green. Il fait le bilan des cent jours. L’occasion pour lui de se réjouir – a fantastic job – même s’il a peu accompli, et beaucoup détruit. Comme le rappelle la journaliste et écrivaine Anne Applebaum, l’objectif n’est pas de faire croire à un mensonge mais de faire en sorte que le menteur soit craint.

Le cliché de Saint-Pierre pâlit déjà. La messe est dite. On a peur à nouveau.

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